Arrêt respiratoire au réveil post-chirurgie extractions dentaires

Chat - mâle - 14 ans - 8,4 kg

Anamnèse

Chat siamois obèse de 14 ans avec parodontite sévère, mis sous Méloxidyl depuis 1,5 ans pour douleur arthrosique par un confrère.
L'examen général ne montrait aucune contre-indication à une anesthésie pour extractions dentaires, et en effet, l'examen locomoteur démontre un remaniement osseux et des craquements au niveau des deux genoux et des épaules.
Des soins dentaires, un bilan complet et des radiographies des genoux, de la colonne et des épaules sont préconisés, et un rendez-vous est pris pour le 6 janvier.

Examen clinique à l'arrivée

Le bilan pré-anesthésique est satisfaisant.
Prémédication Torphasol/Medetomidine en IM, puis relais Isoflurane au masque. Pose du cathéter et fluidothérapie de soutien. Intubation.
Extractions dentaires et anesthésie stable.

À la fin des soins dentaires, extubation spontanée. Réalisation des clichés radiographiques durant la phase de réveil, puis arrêt respiratoire soudain précédé par un raclement de gorge. Je lance une réanimation immédiate : aspiration des glaires à l'aide de la sonde trachéale, puis ballonnement par mon assistante, adrénaline IV et massage cardiaque.
Récupération d'une respiration spontanée au bout de 25 minutes, le chat est maintenu sous O2 avec fixation de la sonde, un réchauffement est mis en place car il est tombé à 34,5 °C, injection IV de céfalexine et Dexamédétomidine. Il s'extube spontanément et finit par se redresser en sphinx. Il est conscient mais en mydriase bilatérale, les réflexes palpébraux sont présents mais le test à la menace me semble absent. Il présente de façon intermittente un léger tremblement de tête.

Questions

Bonjour, Je souhaiterais connaître votre avis sur les séquelles possibles au niveau cérébral suite à un arrêt respiratoire et si je peux m'attendre à une évolution favorable dans le temps. Comment puis-je évaluer si une cécité s'est produite ? La mydriase va-t-elle se résorber ? Quel traitement de soutien est-il recommandé ? Que puis-je annoncer au propriétaire en termes de délai de récupération ? Je vous remercie pour votre aide.

NEUROLOGIE - URGENCES & SOINS INTENSIFS - ANESTHÉSIE

DV Nicolas Granger

Expert : Neurologie

Diplôme : European College of Veterinary Neurology

Bonsoir,

La perte de vision est commune chez le chat après un arrêt respiratoire et liée à une hypoxie cérébrale temporaire. La mydriase devrait disparaître rapidement et la vision réapparaître, en général, en une semaine, si l’hypoxie a été brève. Cela ne me soucie pas trop.

Par contre, on ne connaît pas la cause de l’arrêt respiratoire, donc une rechute est possible. Il faut peut-être explorer des causes comme une hypertension artérielle, une CMH, faire un fond d’œil pour voir si la mydriase n’est pas liée à un décollement de rétine (hypertension, hyperthyroïdie). Le chat a peut-être fait un accident vasculaire.

Enfin, as-tu utilisé un écarteur pour maintenir la bouche ouverte pendant l’intervention ? Le maintien de la mâchoire ouverte pendant un temps prolongé peut créer une cécité chez le chat (réversible), car cette position bloque la circulation artérielle cérébrale par les carotides.

En tout cas, je lui donnerais du temps, pas de traitement particulier hormis de soutien (maintien de la température, nutrition, fluidothérapie). Je ne donnerais pas plus de corticoïdes. Juste attendre et chercher la cause si possible.

Bon courage.

Nicolas.

Bonsoir Nicolas,

 

Je vous remercie pour votre retour rapide et vos explications plutôt rassurantes.

Je n’ai pas utilisé d’écarteur lors des soins, justement pour éviter ce type de désagrément.

Je tâcherai d’explorer pour trouver la cause. J’ai hésité à faire des corticoïdes, je vais suivre vos conseils.

 

Bonne fin de nuit,

Sandra

DV Ludivine Boiron

DV Ludivine Boiron

Expert : Urgences et soins intensifs

Diplôme : American College of Veterinary Emergency and Critical Care

Bonjour,

Toujours stressant ces arrêts cardiorespiratoires ! Tu rapportes que le chat a repris une respiration spontanée après 25 minutes (post-arrêt, je suppose), mais est-ce que tu sais combien de temps a duré l’arrêt cardiaque à proprement parler ? Car cela peut avoir un intérêt important quant au pronostic, car une ischémie cérébrale de plus de 15 minutes n’apporte pas de très bon pronostic. Le fait qu’il se soit extubé, respire de lui-même et se redresse est quand même bon signe, et ton meilleur allié désormais pour voir comment il va évoluer est le temps. Quand tu dis qu’il est conscient, qu’est-ce que cela signifie ? Répond-il aux stimuli, interagit-il même s’il ne voit pas ? Ou bien est-il “réveillé” mais n’interagit pas du tout ?

 

Vu ta description, je pense qu’il a des chances de s’améliorer, mais le degré de récupération est incertain pour le moment et dépend de combien de temps le cerveau a été en hypoxie. Il faut également porter attention aux autres organes qui ont pu souffrir, surtout si l’arrêt cardiaque, et donc l’arrêt de perfusion des organes, a duré plusieurs minutes.

 

Immédiatement après le ROSC (retour spontané à la circulation), l’accent est mis sur la prévention de la récidive de l’arrêt cardiaque et la limitation des lésions organiques.

 

Il faut garder en tête et essayer de traiter les processus physiopathologiques qui se produisent dans la phase de post-réanimation, à savoir (1) les lésions d’ischémie et de reperfusion (IR), (2) les lésions cérébrales de l’APC, (3) le dysfonctionnement du myocarde, et (4) les conditions pathologiques précipitantes persistantes (probablement, et c’est une bonne chose, absentes s’il s’agit d’un arrêt lié à l’anesthésie/obésité).

 

Suivant comment il va aujourd’hui, il serait intéressant de :

  • Faire un bilan sanguin complet pour voir les électrolytes et surtout les paramètres rénaux
  • Mettre le patient sous O2 de soutien, même s’il n’y a pas d’augmentation des efforts respiratoires, pour soutenir la fonction cérébrale tout en évitant l’hyperoxémie
  • Si augmentation des efforts respiratoires : O2 + radio thorax pour voir s’il y a des lésions post-compressions cardiaques
  • Faire un ECG pour s’assurer qu’il n’y a pas d’arythmie cardiaque post-ischémie myocardique, et les traiter si besoin
  • Monitorer régulièrement la pression artérielle et réagir si besoin, mais faire attention à la fluidothérapie : si le chat allait bien avant et qu’il n’y a pas de pathologie sous-jacente, ne pas surperfuser, car cela peut être délétère
  • Arrêter les corticoïdes, car pas d’intérêt pour moi, voire effets délétères comme suggéré précédemment, mais monitorer la vigilance avec des scores de Glasgow et, si la vigilance se détériore et le score diminue, suspicion d’augmentation de pression intracrânienne, penser à traiter avec des hypertoniques
 

=> “Des études sur des patients humains comateux post-arrêt cardiaque suggèrent que l’examen neurologique clinique n’est pas un prédicteur fiable de pronostic négatif au cours des 24 premières heures suivant le ROSC, et l’absence précoce de réponse pupillaire à la lumière (PLR) chez les patients comateux a conduit à un taux de faux positifs pour la prédiction d’inconscience irréversible de plus de 30 %. Entre 24 et 72 heures, la présence de coma et l’absence de PLR ont considérablement augmenté la probabilité de mauvais résultats neurologiques, mais une survie consciente est possible. Ce n’est que 3 jours après le ROSC que l’absence de PLR et l’absence de réponse motrice à un stimulus douloureux prédisent de manière fiable qu’un patient humain ne parviendra pas à reprendre conscience.”

 

En résumé, pour moi, rien n’est perdu, surtout s’il est vraiment conscient. Les arrêts durant l’anesthésie sont ceux qui ont les meilleurs pronostics, donc il faut attendre et le soutenir au niveau des traitements. Par contre, il est vieux, il a peut-être des comorbidités et peut développer des complications organiques dans les heures/jours à venir, donc il est à surveiller de près.

 

Bon courage.

Merci beaucoup pour votre réponse très complète.

Le chat est cliniquement vigile, il marche, mange et boit. L’amaurose persiste et il est hypertendu. Je maintiens une fluidothérapie d’entretien et prévois de doser ses paramètres rénaux demain matin.

Dois-je débuter un traitement à l’amlodipine ou attendre encore que les effets de l’adrénaline se dissipe ?

DV Ludivine Boiron

DV Ludivine Boiron

Expert : Urgences et soins intensifs

Diplôme : American College of Veterinary Emergency and Critical Care

Les effets de l’adrénaline se sont probablement dissipés depuis plusieurs heures déjà, car la demi-vie est très courte. Est-il douloureux ? Quelle est la pression artérielle ? Oui, il va être intéressant de voir les paramètres rénaux et de suivre la PA. Si la pression artérielle est > 180-200 mmHg malgré un traitement adéquat de la douleur, il faudra peut-être commencer l’amlodipine et surtout faire un fond d’œil pour voir si l’amaurose est secondaire à l’ischémie cérébrale ou à un décollement rétinien.

Bonjour,

L’amaurose a régressé ce jour. La pression est à 224mmHg, et les paramètres rénaux sont normaux (SDMA limite à 15).

Il est sous buprecare en IM, fluidothérapie lente et sous surveillance jusqu’à lundi.

DV Nicolas Girard

Expert : Anesthésie et analgésie

Diplôme : European College of Veterinary Anesthesia and Analgesia

Bonjour,

 

Je pense que la raison de l’arrêt respiratoire est probablement liée à l’état d’obésité morbide décrit. En effet, la graisse accumulée dans la région cervicale vient pousser sur les structures de l’appareil respiratoire supérieur et a dû provoquer une obstruction après l’extubation et pendant les manipulations pour les radios. Ce sont d’ailleurs généralement des chats qui « ronflent » en dormant à la maison.

 

Il est important de rappeler que beaucoup d’animaux meurent en salle de radiologie pendant « une petite radio pendant qu’ils se réveillent ».

 

La solution est de maintenir l’animal sous anesthésie générale avec une trachée intubée pour garder les voies respiratoires ouvertes et éviter l’obstruction. Attention, parfois, si l’anesthésie est trop légère, certains chats arrivent (en pliant le cou) à plier le tube endotrachéal, il est donc important de veiller à bien maintenir nos animaux dans des positions physiologiques sous AG et à une profondeur anesthésique suffisante : l’examen radiologique n’est pas un petit examen et peut même s’avérer nociceptif (manipulations de zones articulaires remaniées et inflammées).

 

En termes anesthésiques : vous utilisez la médétomidine, qui est un myorelaxant puissant, soyez bien prudente dans la dose, en particulier sur des animaux obèses. Veillez à utiliser une dose pour le poids qu’ils devraient avoir et non le poids qu’ils font. Et évitez de dépasser les 40-50 µg/kg.

 

En termes analgésiques : le butorphanol n’est pas assez analgésique pour une extraction dentaire. C’est un bon sédatif, mais il ne devrait pas être considéré comme analgésique chez les carnivores domestiques. Je vous propose de passer au moins à la buprénorphine (20 µg/kg IM 45 minutes avant l’intervention) et d’effectuer un bloc locorégional avant l’extraction (c’est très facile à faire et incomparable). Vous n’iriez pas chez le dentiste vous faire enlever une dent sans un bloc, si ? L’autre option aurait été d’administrer de la méthadone (0,3 mg/kg IM 30 minutes avant l’induction) en même temps que votre médétomidine pour pouvoir éventuellement titrer la douleur en post-opératoire.

 

Enfin, sur le plan de la réanimation : très bon réflexe d’avoir réintubé la trachée et débuté le massage cardiaque immédiatement. Avez-vous branché un ECG avant d’utiliser l’adrénaline pour objectiver l’arrêt d’activité électrique du cœur ? Avez-vous pu constater l’arrêt du pouls fémoral ? L’adrénaline a pu faire monter la pression artérielle et potentiellement contribuer à l’amaurose décrite.

 

DV Nicolas Granger

Expert : Neurologie

Diplôme : European College of Veterinary Neurology

Bonjour,

Je pense que les corticoïdes à petite dose, sur une courte durée, ne sont pas une mauvaise idée, même si je n’ai pas tendance à les utiliser dans un cas comme ça, où l’on ne sait pas trop ce qui a causé le problème. Les corticoïdes entraînent une hyperglycémie qui semble néfaste pour le cerveau, mais on ne sait pas.

Les explications de Nicolas sont pleines de sens. Effectivement, une hypertension causée par l’adrénaline pourrait compléter les explications, et donc faire un fond d’œil pour rechercher des décollements de rétine paraît utile !

Merci pour ce cas intéressant, bon courage.

Nicolas

Bonsoir,

La lecture de votre réponse m’apporte énormément de remise en question sur ma gestion de l’anesthésie pour réaliser des clichés radiographiques, d’autant plus sur un animal obèse.

Je vais bien évidemment suivre également votre conseil concernant l’analgésie insuffisante lors des extractions dentaires.

En ce qui concerne la réanimation, je ne dispose pas d’ECG à la clinique, j’ai donc objectivé l’arrêt cardiaque à l’examen direct au stéthoscope.

Je conviens que l’adrénaline doit être à l’origine de l’amaurose et je vous confirme que le chat est hypertendu, PA syst./diast. : 247/134 et FC à 103. L’état général est plutôt bon, il respire normalement et a mangé plusieurs fois au cours de la journée.

Le fond d’œil ne présente pas de décollement de rétine. Les effets de l’adrénaline vont-ils se résorber ?

DV Nicolas Girard

Expert : Anesthésie et analgésie

Diplôme : European College of Veterinary Anesthesia and Analgesia

Je ne suis pas sûr qu’il faille simplement accuser l’adrénaline. Comme l’ont très bien décrit Nicolas et Ludivine, il y a plein d’autres raisons pour que ton chat ne voit pas encore.

 

S’il est hypertendu, il faut traiter l’hypertension, surtout si le fond d’œil ne présente pas (encore) de lésions dues à l’hypertension. L’amlodipine me semble une excellente option. S’il mange et boit, je pense qu’il faut arrêter les perfusions, à condition que tu puisses objectiver les quantités absorbées (en particulier des fluides) et la production d’urine. Un ionogramme sanguin pourra t’aider. La dernière chose que tu veux, c’est de l’hyperhydrater (délétère pour les reins et augmentant les comorbidités). Pense aussi que ton chat devrait faire seulement 4,5 kg, donc adapte tes calculs de besoins journaliers pour ce poids.

 

Les effets de l’adrénaline durent 5 à 10 minutes maximum. Ce avec quoi on doit composer à présent, ce sont plutôt les conséquences de l’hypoxie/hypoxémie provoquées par l’arrêt/obstruction respiratoire.

 

Avec toutes les informations de Nicolas et Ludivine, tu as tout en main pour bien monitorer sa récupération. Ce sont les prochains jours qui seront déterminants.

 

Merci à Nicolas et Ludivine, j’ai beaucoup apprécié cette collaboration multi-spécialité.